Condamnation de Nicolas Sarkozy : les juges et la tentation du Rubicon

Nicolas Sarkozy a été déclaré coupable lundi à Paris de corruption et de trafic d’influence dans l’affaire dite des « écoutes ». L’ancien chef de l’Etat va faire appel de cette condamnation, selon son avocate. En s’attaquant au personnel politique, la tentation du franchissement du Rubicon s’est accentuée au cours des dernières années.

Lorsque César en 49 avant J.C. franchit le Rubicon, il s’affranchit d’un interdit de Rome qui voulait ainsi prévenir la guerre civile : on ne traversait pas le petit fleuve côtier avec des hommes en armes. Depuis l’expression désigne une entreprise aux conséquences risquées sans pouvoir faire marche arrière : c’est la tentation de tout pouvoir qui tente de s’affirmer, cela a toujours été le penchant de certains juges, plutôt que d’être la « bouche de la loi « comme le voudrait les Constitutions des démocraties de devenir les « faiseurs de loi » grâce à des interprétations devenant des jurisprudences.

En s’attaquant au personnel politique la tentation du franchissement du Rubicon s’est accentuée au cours des dernières années et l’entrée le 25 Janvier 2017 du Parquet National Financier dans la campagne électorale Présidentielle avec l’enquête orchestrée sur le candidat en tête des sondages sur la base d’un article de « Canard Enchainé » marquait la fin d’une époque. En s’en prenant, à une période où la neutralité des agents de l’Etat est préconisée, à l’élection la plus importante de la Vème République, on brisait un premier tabou démocratique.

La multiplication ensuite des enquêtes pour briser définitivement la carrière d’un ancien Président de la République, certes retraité mais toujours présent en politique montrait à l’évidence la nécessité d’une veille active de la profession judiciaire au chevet d’une démocratie hésitante : le mal était ainsi désigné comme celui de la corruption des élus s’étant éloignés de la recherche du bien commun au profit de leurs intérêts propres. « Au nom du peuple français » et en vertu des lois que les représentants du peuple avaient votées, une partie des juges a voulu éradiquer ce qu’ils ont considéré être la racine du mauvais fonctionnement de l’Etat. Ils s’appuyaient sur un ressenti fort d’une opinion de plus en plus irritée par ce qui était présenté comme une impunité organisée du personnel politique. D’une certaine façon ils se saisissaient d’une demande implicite du peuple relayée par une partie de la presse. Ainsi ils apparaissaient comme les défenseurs d’un peuple qui leur demandait de punir les élus, ils rentraient donc dans le jeu politique en transformant une autorité judiciaire en pouvoir judiciaire, c’est-à-dire qu’ils devenaient « la bouche du peuple » au lieu de la bouche de la loi.

La sentence du Tribunal correctionnel du Premier Mars 2021 a été abondamment commentée par la presse, les experts et le personnel politique, mais il faut insister aussi sur le passage définitif du Rubicon qu’elle matérialise. Est- ce que le problème majeur de notre pays aujourd’hui est celui de la corruption de nos élus et ceci jusqu’au sommet ? Est-ce que le malaise actuel de notre démocratie, l’abstention, le désamour, la montée du communautarisme, les violences diverses… ont pour cause essentielle la mauvaise conduite du personnel politique ? Est-ce que c’est cela que le peuple désire, une justice qui désigne les délinquants à l’intérieur d’une nébuleuse politique ? La Justice a-t-elle raison de s’autoproclamer fer de lance d’une blancheur réclamée par le peuple souverain ?

Une observation du pays tel qu’il fonctionne aujourd’hui ne plaide pas pour cet accent mis sur les actions de quelques hommes dont un ancien Chef de l’Etat, la désignation de quelques boucs émissaires n’est aucunement d’actualité, la Justice apparait d’abord « hors sol » comme une grande partie des élites nationales. La pandémie, ses conséquences sanitaires, sociales, économiques, psychologiques, ont conduit à une exigence, celle de l’efficacité de l’action publique. Sont mêlées dans les aspirations populaires la nécessité d’une confiance dans l’avenir et d’un retour à un fonctionnement sociétal vivable tandis que les nuages s’amoncellent, l’islamisme, les bandes de jeunes assassines, la précarité, la disparition d’entreprises. La population a besoin d’espoir et non de règlements de comptes et, en cela , procès et condamnations contestés ou contestables sont contre-productifs. En d’autres termes, comme le premier passage du Rubicon en 2017, cette traversée qui s’annonce définitive, est mal venue car elle ne correspond pas à une empathie possible du peuple, elle ne tire pas vers le haut mais vers le bas, elle prépare la mort de César et non son couronnement, elle est anachronique car elle ne prépare pas à un redressement de la France à la fois indispensable et attendu par tous.

Il appartiendra à l’histoire de déterminer si la Justice a eu raison ou tort sur le fond mais en ce qui concerne le moment et l’argumentation donnée à la lourdeur des peines , le caractère exemplaire des prévenus, elle s’est trompée d’époque montrant ainsi que sa revendication de tenir son pouvoir du peuple français est injustifiée. La population a besoin d’espérance collective, d’un projet mobilisateur, d’un retour confiant aux urnes pour tourner la page du déclin et de la sinistrose.

4 commentaires sur “Condamnation de Nicolas Sarkozy : les juges et la tentation du Rubicon

  1. Les réfèrences historiques des juges qui se réclament « être de gauche », restent celles de 1789 : Fouquier-Tinville, Marat, Robespierre, et d’autres.
    Faudrait-il leur rappeler comment ces personnes ont fini leur vie ?

  2. Peu importe ce que les juges avaient derrière la tête. Ce qui compte, ce sont les motifs exprimés dans le jugement. On ne peut rien dire sans en avoir étudié les 250 pages.

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