Crise sanitaire : Il faut sauver le soldat Macron (oui, mais qui peut le faire…?) !

Le président de la République semble déterminé à résister à la pression de l’administration de la santé. Mais sans paraître trouver les relais d’une politique déterminée au sein de l’appareil d’Etat.

Atlantico : Emmanuel Macron semble une nouvelle fois avoir résisté autant que possible à la pression de ceux qui poussaient à de nouvelles mesures sanitaires strictes, soulignant notamment la difficulté que représenterait un confinement en Île-de-France. Dans la mesure où les demi-mesures ne produisent que très peu d’efficacité, faut-il le soutenir dans sa résistance à la prudence de l’administration ?

Charles Reviens : La situation sanitaire française semble aujourd’hui dégradée si on la compare à celles des pays que le Premier ministre a retenu dans son présentation d’hier – nos voisins européen – mais aussi aux pays anglo-saxons. Nous sommes dans la zone des 20-25 000 nouvelles personnes positives covid par jour avec des données par unité de population désormais supérieures tant vis-à-vis des pairs de l’Union européenne que des Etats-Unis et du Royaume-Uni qui connaissent en deux voire un mois un effondrement spectaculaire des taux de détection. A date le seul pays comparable à la France sur cet indicateur est l’Italie.

Nous ne mentionnons bien entendu pas les pays de l’arc Asie-du-Sud-Est/Asie du Sud/Océanie où la situation semble contrôlée comme rappelé dans ma récente contribution avec Barthélémy Courmont. Enfin en matière de vaccination la France comme ses pairs de l’Union européen est embarquée dans l’omnibus Von der Leyen infiniment plus lent que les express américain et britannique sans même mentionner le TGV israélien quasiment arrivé à destination.

C’est dans ce cadre que les pouvoirs publics ont décidé hier d’un original confinement « en même temps » ou « troisième voie » : 16 départements incluant les huit franciliens et représentant le tiers de la population (21 millions) placée en confinement pour quatre semaines mais avec maintien des écoles ouvertes, lycées et demi-jauge et possibilité de se déplacer avec la fameuse attestation dans un rayon de 10 kilomètres de son domicile sans limitation de durée. Emmanuel Macron semble avoir eu ici un rôle de tempérance face à des options beaucoup plus restrictives, en cohérence avec la ligne qu’il avait suivie fin janvier 2021 en s’opposant frontalement à l’option de reconfinement total qui lui était proposée par son entourage scientifique, différents nomenklaturistes sanitaires et autres médecins de plateau.

La France donc « vit avec le virus » dans un stop & go constitué d’un enchainement de boucles confinement-déconfinement. La question essentielle pour juger de la pertinence d’une telle approche est de savoir si l’on prépare dès à présent solidement le futur déconfinement, ceci afin que la réduction espérée des cas de contamination demeure enfin maîtrisée pour éviter d’avoir à replonger encore dans d’autres restrictions sociale et économiques fortes. Cela n’a de toute évidence ni été le cas ni sur la premier déconfinement (mai-septembre 2020) ni lors du second (décembre-mars 2021).

Loïk Le Floch-Prigent : On sent effectivement comme une intuition que la politique menée est absurde et qu’il faut résister à la pression de son entourage et d’un certain monde médical à la fois parisien et conformiste, mais il finit par céder… pas complètement mais déjà trop pour avoir une action cohérente. Déjà la brutalité de l’arrêt de la vaccination AstraZeneca n’était pas un bon signe puisqu’assorti d’une explication de suivisme européen. Et là il a donné le mot « confinement » à son opposition interne sans confiner vraiment, il résiste encore, mécontentant tout le monde. Les Présidents et encore plus les Présidents de la République sont des otages de leurs entourages, et si ceux-ci s’allient avec une administration veule et incompétente ils deviennent incapables de trancher, c’est ce que nous vivons aujourd’hui. Il est impossible de dire si ces demi-mesures seront efficaces ou non: même si les chiffres baissent, aucune démonstration n’aura été faite. On aura montré simplement que des décisions ont été prises: si rien ne bouge, on dira que les français ont été indisciplinés, si cela marche on dira que c’est grâce à l’action du gouvernement. Tout le monde sait que c’est faux, mais l’essentiel est de sauver la face de la communication. On peut penser que le Chef de l’Etat a compris que son administration se trompe, le trompe, est statique, sans imagination et ne sait que générer dans la population de l’anxiété et de la peur, mais faire table rase d’un tel nombre d’incapables arrogants est au-dessus de ses forces. Il est vrai que ce n’est pas facile car personne autre que lui n’a choisi son entourage immédiat, il n’en est pas de même de l’appareil administratif dont chacun a pu mesurer l’inefficacité. La seule chose qui reste à faire est de lui montrer la possibilité d’alternatives avec des expérimentations locales démontrant leur efficacité: certains élus locaux peuvent valoriser les travaux scientifiques, techniques et industriels effectués depuis un an, encore faut-il s’assurer qu’il en soit informé, c’est-à-dire que cesse l’omerta qui marginalise les avancées dans les connaissances et les résultats.

Quelles pistes pourrait utilement explorer le président de la République pour échapper à l’inertie dont l’administration n’a cessé de faire preuve depuis un an qu’elles qu’aient été la détermination martiale affichée par Emmanuel Macron ou son gouvernement ? Comment peut-il se donner enfin les moyens de ses ambitions ?

Charles Reviens : Je rappelle que je ne suis ni médecin ni épidémiologiste alors même que la bonne posture dans la présente crise nécessite des choix structurants motivés par des considérations de santé publique. Mais la santé n’est pas tout dans cette situation qui relève tout autant d’éléments politico-administratifs et économiques. Rappelons ensuite qu’Emmanuel Macron dispose sur le papier du système institutionnel occidental qui donne au président de la République française de vastes marges de manœuvre avec en particulier la subordination de fait de l’Assemblée nationale au pouvoir présidentiel, subordination jamais démentie depuis l’instauration du quinquennat en 2000 et particulièrement marquée pour l’Assemblée actuelle au regard des conditions des élections présidentielles et législatives de 2017.

La question posée consiste donc quelque peu à proposer à Emmanuel Macron une nouvelle boite à outils afin de résister enfin à l’« Etat profond », expression qu’il avait lui-même reprise en 2019 après qu’elle ait été utilisée à satiété par Donald Trump. Dans cette boite à outil on peut mettre :

  • le choix des personnes et des organisations en charge de la crise ;
  • un changement de posture sur la question des libertés publiques ;
  • le traitement de la question délétère de la judiciarisation et de la pénalisation de l’action publique.

Choix des hommes et des organisations en charge de la crise sanitaire

En France les principaux responsables publics sont nommée par des décrets visés par le Président de la République, ces responsables étant en quelque sorte en CDD permanents renouvelables chaque mercredi en conseil des ministres. Il y a donc la carte du changement des personnes clés avec des exemples historiques fameux, en particulier la mise hors-jeu discrétionnaire et immédiate dès l’été 1914 de 40 % des officiers généraux français par la général Joffre mécontent de leur performance et de leur état d’esprit face aux déboires français dans les premiers mois de la guerre : c’est le « limogeage » du fait de la mise en garnison de ces généraux dans la 12ème région militaire située autour de Limoges donc très loin du front. Cette carte a été jusqu’ici très peu utilisée par Emmanuel Macron puisque les seuls changement d’ampleur ont été le remplacement en février 2020 d’Agnès Buzyn par Olivier Véran pour des raisons d’élections municipales parisiennes n’ayant strictement rien à voir avec la crise sanitaire covid-19, et le changement de Premier ministre.

Concernant les administrations, on peut lire dans l’édition de cette semaine de l’Express (première de couverture : tests/masques/vaccins, le naufrage bureaucratique) une critique particulièrement virulente de l’administration sanitaire à laquelle on a confié la gestion de la crise. Un ancien collaborateurs du Premier ministre Edouard Philippe y indique sous couvert d’anonymat que « confier la totalité de la gestion d’une crise comme celle-là à un ministère ni conçu ni organisé pour çà, selon moi, l’erreur fondamentale, elle est là ». J’avais décrit dans l’analyse du spectaculaire programme de vaccination américain «Warp Speed » initié sous l’administration Trump l’existence du binôme constitué du conseiller scientifique en chef Moncef Slaoui et du général Gustave Perna, chief operations officer de Warp Speed et précédemment chef de l’United States Army Materiel Command. Il est plus que probable que le savoir faire en matière de gestion de crise et de logistique se situe bien davantage en France au sein des ministères des armées et de l’intérieur et cela constituer peut-être une piste.

Changement de posture dans l’appréhension des libertés publiques

Si Montesquieu était parmi nous à cette époque, il n’écrirait pas les lettres persanes mais les lettres taiwanaises ou les lettres sud-coréennes et ironiserait sans doute sur la situation insolite dans notre pays au vue des pratiques des démocraties d’Asie du Sud : l’incapacité hexagonale à imposer des contraintes et des contrôles stricts (isolement, supervision numérique) pour des personnes (peu nombreuses) ou des situations à risque covid au motif du respect des libertés publiques conduisant au final à imposer des restrictions absolument énormes à l’ensemble de la population depuis un an : liberté d’aller et de venir, liberté de rassemblement, libertés économiques et de faire du commerce. C’est un immense paradoxe qui doit nous faire réfléchir sur l’articulation entre libertés publiques et bien commun en France et en Occident.

Atlantico se fait ainsi depuis plusieurs mois le fervent avocat de mesure d’isolement et de supervision des personnes contaminées et contaminantes notamment via les contributions de Guy-André Pelouze. Selon ce médecin il ne sert à rien de faire d’importantes campagnes de tests si les tests ne sont pas accompagnés d’un système permettant d’isoler les cas positifs, par exemple dans les chambres des hôtels qui d’ailleurs sont vides du fait de l’effondrement de l’activité touristique. Cette option pose des enjeux évidents en matière de logistique, de moyens et de communication pédagogique mais le nœud gordien semble constituer par la question des libertés publiques.

Ainsi Jean Castex, lors de son audition le 17 novembre dernier par la commission d’enquête de l’Assemblée nationale sur la crise sanitaire, indiquait ses réserves sur les implications d’un isolement obligatoire par rapport à notre dispositif de libertés publiques et à la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Je n’ai ni le temps ni la compétence juridique pour une analyse fine de cette position mais par exemple la décision du Conseil constitutionnel du 11 mai 2020 indique que « les mesures de mise en quarantaine, de placement et de maintien en isolement peuvent faire à tout moment l’objet d’un recours par l’intéressé ou par le procureur de la République devant le juge des libertés et de la détention en vue de la mainlevée de la mesure », analyse du juge constitutionnel risquant de transformer toute mesure large d’isolement en nid à contentieux. Des questions de nature analogue se posent dans le champ du traçage numérique et donc une initiative juridico-politique serait probablement la bienvenue pour enfin déployer les dispositifs d’isolement et de supervision ciblés qui semblent avoir largement fait leur preuves dans les pays qui l’ont mis en œuvre.

Traitement de l’épée de Damoclès judiciaire

Les responsables publics et administratifs vivent sous l’ombre portée de l’affaire du sang contaminé et il est plus que probable que le risque judiciaire et pénal qui pèse sur eux a des conséquences majeures sur leurs décisions avec probablement des effets pervers et des conséquences délétères sur leurs schémas d’action au regard du bien commun.

La crise sanitaire est pourtant ponctuée de nombreux signes en la matière. Dès le 19 mars 2020, deux jours après le début du premier confinement, un collectif de 600 médecins porte plainte contre Edouard Philippe et Agnès Buzyn, ce qui tétanise et ralentit considérablement l’administration sanitaire selon un ministre cité cette semaine dans l’Express. Puis Philippe de Villiers déclare début juin qu’Emmanuel Macron lui aurait déclaré que le Premier ministre Edouard Philippe « gère son risque pénal » et différents commentateurs expliquent le recours massif au conseil de défense dans la crise par la protection fournie par l’irresponsabilité pénale garantie constitutionnellement au président de la République. On note enfin un première class action à la française portée par une soixantaine de personnes morales et civiles. Cette situation démontre à l’envi la confusion croissante et préoccupante entre responsabilité pénale et responsabilité politique dans notre pays et il serait utile de profiter de l’occasion pour ramener pédagogie et clarté en la matière. La crise de la responsabilité politique se remarque aussi quand on note que les différentes oppositions politiques, qui devraient théoriquement avoir un boulevard au regard des difficultés de l’exécutif dans la gestion de la pandémie, n’en profitent absolument pas dans l’opinion publique en ayant des scores d’approbation encore plus bas que le président de la République et les principaux ministres.

Donc il y a différents axes de solution pour l’exécutif même s’il est difficile de renverser la table ou d’effectuer un nouveau virage après un an de crise et compte-tenu des décisions structurantes du passé : dossier confié avant tout à la très bureaucratique et très risk adverse administration sanitaire, nomination à Matignon du Monsieur Premier Confinement, impact de postures politico-idéologique (refus de la fermeture des frontières, approvisionnement en vaccins confié à la commission européenne avec les résultats qu’on connait). Mais la très grande difficulté de l’opposition à être audible ou crédible à date donne encore des marges de manœuvre à l’exécutif qui peut ainsi encore mettre en œuvre la formule de Winston Churchill selon laquelle il ne faut jamais gâcher une bonne crise.

Loïk Le Floch-Prigent : Les pistes sont nombreuses et c’est peut-être une des raisons de sa difficulté à aller jusqu’au bout de son intuition. Les retards ont été nombreux dans l’action, inutile d’y revenir, mais que ce soit sur le confinement de départ, le déconfinement, le reconfinement et le couvre-feu on n’a jamais appliqué la politique affichée: on a toujours rusé avec la réalité, jamais rien de net pouvant permettre ensuite de tirer des enseignements. Tous les Français ont été maltraités, vieux, jeunes, enfants, hospitalisés ou non, et ceci sans aucun résultat tangible : pas une leçon valable n’a pu être tirée d’un désastre national, économique, psychologique, sociétal. C’est en regardant les autres pays qui ont eu des actions déterminées sinon efficaces que nous nous situons! Il est rare d’avoir commis une telle catastrophe sans pouvoir donner un retour d’expérience susceptible de nous guider dans nos choix actuels ou futurs. Il y avait la possibilité de laisser la population s’immuniser, sans rien faire, celle de tester, tracer et isoler, celle d’iloter les lieux de concentration et les couper de leur environnement, politique Zéro Covid ou laisser aller général… rien de tout cela n’a été décidé on a fait peur sur le virus et le manque de disponibilités hospitalières, et on a essayé de laisser fonctionner une partie du pays en refusant à l’autre d’exister. Sur tous les sujets des expériences existent désormais, les tests, les auto-tests, les tests salivaires, les traçages avec des outils simples, les protocoles d’isolement stricts, les recherches de clusters par examen des eaux usées, les masques à imprégnation longue antivirale, les nouveaux anti-viraux en expérimentation, les capteurs de qualité de l’air, les aérations, les purificateurs filtrants, les simulations des espaces confinés avec les risques de transmission des virus… on sait comment ouvrir les théâtres, les restaurants, les universités, il suffit de faire appel à tous ceux qui depuis un an se préparent, étudient, expérimentent, proposent et sont éconduits tous les jours par des administrations peureuses et peu bienveillantes à l’égard des importuns. Comment faut-il le dire pour que la télévision, la radio et la presse en général se saisissent de toutes ces initiatives flamboyantes qui vont finir par partir à l’étranger comme une grande partie des forces vives du pays ? Comme si vendre de l’information c’était d’abord vendre de l’angoisse et non de l’espoir alors que la plupart des Français voudraient retrouver la vie tout simplement.

La seule manière pour échapper au cercueil que l’on nous propose désormais tous les jours serait de nommer un responsable national qui aurait pour tâche de fixer des objectifs à chaque entité administrative et de les sanctionner, de les mettre à pieds, dès que démonstration serait faite de leur inefficacité. Dès son arrivée il pourrait en éliminer beaucoup, cela donnerait de l’air et les autres se précipiteraient sur toutes les expériences concluantes citées, et sur beaucoup d’autres. Si agir est pénalisant et si ne rien faire est gratifiant, ce qui est la situation actuelle, nous ne pouvons pas nous en sortir. Il ne faut pas communiquer sur une détermination , il faut la montrer avec des actes concrets, avec des vrais gens en train de faire du vrai travail , sans cinéma. C’est le moment car après il sera trop tard, les demi-mesures prises hier n’ont aucun sens car elles ne démontreront rien, à part que les coiffeurs ne sont pas essentiels en Ile de France le jeudi soir mais le redeviennent le vendredi matin !

On a beaucoup lu d’articles sur le recours à des grands cabinets de conseil, dont McKinsey chargé de faire le lien entre le ministère de la santé et Santé publique France (sic), la solution peut-elle se trouver de ce côté ?
Charles Reviens : Cette polémique démontre à l’envi le gout français pour les discussions abstraites et en retour la faible appétence pour le pragmatisme et les enjeux matériels, « tâches ménagères » selon les termes bien choisis de Michel Audiard dans les Tonton flingueurs.

On peut ici s’appuyer sur la formule de Deng Xiaoping de 1962 : « peu importe qu’un chat soit noir ou blanc, s’il attrape la souris, c’est un bon chat ». Donc si les cabinets de conseil apportent des savoirs faires et une expérience dans des domaines clés de type logistique et supply chain, le bon sens est d’avoir recours à leur service pour un cout qui n’est peut-être pas neutre mais nécessairement sans aucune mesure avec le cout socio-économique actuel de la crise pour le pays. L’enjeu majeur est en revanche que chacun reste à sa place et que les cabinets restent à leur place de prestataire ou de maîtres d’œuvre et ne soient pas instrumentalisés pour permettre à l’autorité politico-administrative d’échapper à sa responsabilité inéluctable de maître d’ouvrage et de responsable en dernier ressort dans le cadre de sa responsabilité et de sa légitimité politiques.

Loïk Le Floch-Prigent : Pour les orphelins d’un Etat qui fonctionne correctement le recours à des grands cabinets de conseil est une honte. Si une administration est incapable on la change. Les Français continuent à accepter le paiement de l’impôt et à faire confiance à l’Etat, c’est une tradition séculaire, mais ils n’obéiront pas à McKinsey . La plupart d’entre eux croient encore que c’est de la « fake news », cela vaut mieux !

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