En marche vers le crash énergétique : mais pourquoi le redémarrage des réacteurs nucléaires accumule-t-il les retards ?

EDF ne pourra pas produire autant d’électricité qu’elle le souhaitait lors de cet hiver 2022. Les centrales peinent à redémarrer.

Atlantico : Alors que nous devions assister à une remontée en puissance avec des redémarrages en ce début novembre, les retards semblent s’accumuler. Quelles sont les explications techniques à ces différents retards ?

Alexis Quentin : En fait, si on regarde l’analyse du passage de l’hiver de RTE réalisée mi-octobre, on remarque que mi-novembre étaient attendus entre 26 GW et 33 GW, et on est dans cette fourchette aujourd’hui. Le moment de vérité sera surtout pour les trois semaines à venir. A noter que RTE doit mettre à jour son analyse du passage de l’hiver dans les jours à venir, de mémoire, on verra alors quelles seront leurs prévisions.

Loïk Le Floch-Prigent : Les explications sont nombreuses et dépendent de chaque unité mais lorsqu’il y a une urgence comme aujourd’hui et que cela patine, cela veut dire qu’il n’y a pas la mobilisation à la hauteur du problème posé par tous ces arrêts. Si tous les agents d’EDF et ceux des sous-traitants présents  sur les sites travaillaient ensemble dans l’enthousiasme de sauver le pays, on n’en serait pas là aujourd’hui et il faut rajouter à cette volonté de trouver des solutions l’Agence de Sureté Nucléaire et l’ensemble des administrations. Ce qui domine aujourd’hui c’est la peur, peur de mal faire, peur d’avoir un incident utilisé par les lobbies antinucléaires, peur de l’inspection du travail, peur de dépasser les budgets, la peur, toujours mauvaise conseillère et assurant les retards dans toutes les activités industrielles. Les salariés du nucléaire, leurs patrons , ont été rincés par des années de disette où il a fallu aller à l’étranger pour survivre, en Chine, en Finlande et en Grande Bretagne… sans parler de beaucoup d’autres pays où on fait de la maintenance ! Hier il fallait tout arrêter, et des annonces verbales, sans décisions formelles, annoncent un redémarrage. Mais des débats publics sont lancés  à travers les provinces depuis quelques semaines  sur l’intérêt du nucléaire avec essentiellement la présence comme orateurs d’antinucléaires et on continue à raconter que l’on a fermé Fessenheim pour des raisons de sureté ce qui est mensonger ! Le moral des personnels du nucléaire remonte mais ce n’est pas encore ça, ils attendent des décisions claires, qui ne viennent pas, à la fois avec des budgets de maintenance insuffisants, des appels d’offres longs et inutiles, des donneurs d’ordres pour partie en grève dans les centrales, bref, aucune volonté réelle d’aller vite avec l’ensemble du corps social qui semble craindre, à juste titre, un black-out cet hiver s’il fait froid. Peu importe les erreurs commises, il faut se retrousser les manches et arrêter de vouloir gérer au mieux la pénurie, et tout le monde doit s’y mettre, y compris les apeurés des agences de contrôle. La catastrophe pour le pays c’est la France dans le Noir, et donc la solution c’est « tout le monde sur le pont ». Il y a des problèmes techniques, donc il y a des solutions et nous avons tout l’arsenal technique et les compétences nécessaires… si on ne les bride pas.

On prend un exemple, la fameuse corrosion sous contrainte dont on a fait un fromage de peurs accumulées : il était pour un industriel inconcevable d’arrêter autant de réacteurs à partir du moment où ces circuits n’étaient pas essentiels, on pouvait les remettre en ordre pas à pas : la peur, toujours la peur ! Dans l’industrie celui qui a peur doit changer de métier.

Ces problématiques de redémarrage peuvent-elles être aussi liées à des difficultés internes à EDF, notamment en raison des mouvements sociaux qui traversent l’entreprise  mais aussi dans la gouvernance ?

Alexis Quentin : Les difficultés sont surtout dues aux réparations des problèmes de corrosion sous contrainte qui semblent prendre plus de temps. Sur cette question, la filière et l’ASN apprennent en marchant, car c’est un problème inédit sur le parc. Les incertitudes sur les retards de travaux viennent principalement de là. Si la sécurité d’approvisionnement avait été mise en danger par les mouvements sociaux à EDF, nul doute que l’Etat aurait utilisé, comme il l’a déjà fait par le passé, les moyens légaux à sa disposition pour redémarrer les tranches qui pouvaient l’être.

Loïk Le Floch-Prigent : Il est clair que les grèves n’ont rien arrangé et on a  du mal à reconnaitre là le fonctionnement syndical historique qui a toujours privilégié l’intégrité de l’outil de travail ! Mais ceci est sans doute du à une accumulation d’erreurs commises dans la gestion des hommes dans une sorte de retraite acceptée par les cadres supérieurs qui se sont trop longtemps couchés devant des décisions techniquement inacceptables. Un chef d’entreprise qu’il soit public ou privé doit résister à son actionnaire lorsque celui-ci met en péril la société dont il a la charge, il n’y a pas d’alternative ! J’ai été choqué ces dernières années par la propension des Ministres et de leurs Cabinets à vouloir répondre eux-mêmes à des questions relevant des patrons, c’est vrai pour EDF comme pour la SNCF. Ceci est profondément malsain et l’ensemble de l’encadrement et des sociétés en cause ne sait plus qui commande.

A quel point cela handicape-t-il actuellement notre production ?

Loïk Le Floch-Prigent : Il est clair que si l’on ne modifie pas en profondeur la prise de décision et la vitesse d’exécution en y mettant les moyens humains et financiers adéquats, en décrétant l’Etat d’Urgence absolue et mobilisant EDF, Framatome, les entreprises du GIFEN (Groupement Industriel Français de l’Energie Nucléaire) soit des dizaines de milliers de personnes, nous prenons le risque de ne pas avoir les MWH nécessaires en temps utile. On voit bien que l’on amuse la galerie avec un projet de loi sur l’accélération des procédures pour les énergies éoliennes et solaires qui n’auront aucun impact sur la production en période difficile, aucun impact, car dans l’hiver qui se prépare d’une part elles seront toujours en projets et elles n’ont aucun intérêt en hiver, car à la période critique, celle du pic, il n’y a ni vent ni soleil. En mettant en scène ce projet de loi et en organisant ces débats antinucléaires indignes actuels, les gouvernants montrent bien à l’ensemble du monde de l’énergie et en particulier au monde nucléaire qu’ils ne veulent en rien résoudre les problèmes posés mais simplement dire : arrêtez de prendre des douches, apprenez à être sobres, faites pénitence, vous avez beaucoup péché…

Si on voulait vraiment résoudre le problème de cet hiver, on aurait aussi regardé les centrales thermiques arrêtées récemment, celle du Havre qui est semblable à celle de Cordemais (Nantes/Saint Nazaire) donc charbon/ pellets et celle de Porcheville (fioul).

Quand on ne veut pas traiter un problème, il vaut mieux le dire, c’est plus clair.

Dans quelle mesure cela nous met-il en danger pour cet hiver ?

Alexis Quentin : Réponse lors du prochain point RTE. Mais on sait dans les faits depuis des années que les hivers 2022 à 2025 vont être tendus, et ce sans avoir de cygne noir de la CSC. On doit donc tout mettre en oeuvre sur l’efficacité, la maîtrise de la conso pour passer l’hiver.

Loïk Le Floch-Prigent : Bien sur, c’est l’hiver qui va décider et pour l’instant nous bénéficions d’un réchauffement bien venu, ce qui ne nous empêche pas de nous en plaindre. Par ailleurs le prix de l’électricité et du gaz vont avoir comme conséquences des arrêts industriels nombreux d’ici fin Décembre, cela va aider la baisse de consommation mais c’est une catastrophe pour le pays avec une accélération de la désindustrialisation. Mais si l’hiver est rude, tout cela ne suffira pas et il va falloir gérer des black-outs, des arrêts d’alimentation de certaines villes, départements ou régions. Déjà tous les générateurs électriques à base de gazole ont été achetés par les usines ou les particuliers, montrant bien que c’est une hypothèse vraisemblable ! Il n’y a plus qu’à espérer que les climatologues aient raison et que la France se réchauffe même l’hiver !

EDF et l’Etat pourraient-ils faire plus pour accélérer le redémarrage des réacteurs à l’heure actuelle ? Auraient-ils pu mettre plus de pression pour ce faire ?

Alexis Quentin : Cela parait compliqué. Toutes les équipes d’ingénierie sont mobilisées sur le sujet, tous les sous-traitants aussi, et il n’y a pas vraiment de salariés disponibles en plus. L’ASN décide des redémarrages des tranches, et elle est indépendante, l’Etat n’a donc pas à faire pression dessus. Le problème vient aussi de plus loin. La filière ayant eu ces dernières années une vision à long terme inexistante, il y a eu aussi un déficit d’investissement en formation et recrutement, ce qui fait qu’il y a moins de personnel disponible en cas de besoin.

Il faudra clairement avoir un retour d’expériences cet épisode, que cce soit niveau EDF, mais aussi au niveau politique.

Loïk Le Floch-Prigent : Il est clair que chacun doit faire son travail, mais que les agences de contrôle nombreuses et variées qui empêchent quotidiennement les industriels de travailler ont aussi leur part de responsabilité dans ce qui nous arrive. A vouloir jouer la sureté, la sécurité, la précaution contre l’industrie et à vouloir faire des économies permanentes sans justification technique on arrive à la fin à ne plus avoir ni les moyens, ni le personnel ni l’envie de résoudre les problèmes, c’est là que nous sommes aujourd’hui. L’Etat dans son ensemble a été défaillant, il s’est trompé en s’affichant anti nucléaire depuis plus de vingt ans, il a réduit les compétences, il a organisé la pénurie , il a surinvesti dans des installations inutiles, il aurait pu se racheter en mettant en urgence un rattrapage sur les centrales existantes comme les Suédois qui ont accru la puissance de leurs centrales nucléaires pendant la maintenance de 10 à 15%, en mettant en fonctionnement Flamanville 3, en étudiant le redémarrage de Fessenheim, en ignorant la « contagion «  de la corrosion sous contrainte, bref en prenant ses responsabilités. Il est encore temps, il n’est jamais trop tard, notre pays est en danger, nous avons tous le devoir de l’en sortir, les ingénieurs et les techniciens du nucléaire et de l’énergie y sont préparés, ils ne demandent plus que la volonté politique et des décisions claires avec des responsables de la mise en œuvre compétents.

6 commentaires sur “En marche vers le crash énergétique : mais pourquoi le redémarrage des réacteurs nucléaires accumule-t-il les retards ?

    1. Je suis un ancien industriel sous traitant dans le nucléaire depuis le programme DE GAULE/MESMER je confirme (pour l’avoir vécu ) cette analyse et qui confirme aussi la désindustrialisation de notre pays ; le désintérêt de nos gouvernants successifs et des décideurs et donneurs d’ordre ont dégradés à jamais le savoir faire , les techniques , les compétences ; les ingénieurs, les techniciens, les soudeurs qualifiés, les chaudronniers expérimentés, tous sont partis à la retraite sans pouvoir transmettre leurs savoirs; et avec ça la culture de l’industrie qui constituait le socle et la base de notre pays.

  1. Analyse pertinente.

    Concernant le réchauffement 2 choses à savoir :

    1/ Tous les optimum thermiques ont été bénéfiques pour nos civilisations. L’optimum Romain donne des températures supérieures à 9°C dans le bassin méditerranéen par rapport à nos températures actuelles. L’optimum médiéval, lui, a permis une très forte croissance de notre nation. Alors que nous gérons très mal (diminution des récoltes, maladies, pb énergétique) les périodes glaciaires. Bref, si nous faisons bien face à un début d’optimum thermique, ce qui pour le moment est impossible à dire, cela serait une bonne chose, dans la mesure où nous acceptons de nous adapter et non pas de combattre le climat comme l’ONU et le GIEC nous l’imposent.

    2/ La température moyenne actuelle de la planète est, en valeur, selon l’OMM (organisation Météorologie Mondiale) de 14,9°C. Et, la température normale de la Terre sous notre ère est de 15°C. Dit autrement, la variation thermique que nous enregistrons depuis 1 siècle, de +1°C, n’a fait que nous ramener à la température normale. Sachant que nous sortons du PAG (petit âge glaciaire) qui se termine en 1850. Donc, tout va bien, et il n’existe aucune urgence climatique.

    Oui, nous bénéficions en ce moment et sous notre latitude d’une température modérée, ce qui ne préjuge en rien de l’hiver à venir et de celui de 2023. Pour le moment, cela sauve les « miches » des politiques dont l’inconsistance et la médiocrité transpirent de jour en jour. L’augmentation, sous la pression fiscale, des PAC et autres chauffages électriques implique qu’en l’état, une forte demande sur des journées inférieures à 0°C posera inévitablement des problèmes, d’autant que nous pouvons parier que la situation sera similaire dans toute l’UE. Dès lors, qui se privera pour nous vendre de l’électricité ?

    Cette leçon suffira t elle pour une prise de conscience… Malheureusement je ne le pense pas. Les écologistes et les politiques ont quitté il y a quelques décennies les rives du pragmatisme pour aborder celles du dogmatisme… La France est pilotée par des dogmes, plus par l’intérêt général, auquel par ailleurs je préfère le « bien commun ».

    PC : M. Le Floch Prigent, il me semble qu’il est remis annuellement à EDF un rapport de Météo France (ou un autre organisme) donnant les prévisions climatique hivernale ?

  2. Une politique de gribouille ! On a cassé l’excellence nucléaire de la France, et maintenant on dépense des fortunes pour subventionner les véhicules électriques et les pompes à chaleur, tout en expliquant comment réduire sa consommation d’électricité !

  3. Il va falloir rappeler aux français que nos dirigeants politiques incapables actuellement à la tête du pays ont été choisis par le peuple . Si lors des élections on décide de voter pour des politiques de valeur,avec des visions et une envie de faire évoluer le pays alors nous avons une chance de nous en sortir. Si on continue à élire des marionnettes qui ne pensent qu’à leurs images et à faire des effets d’annonce on restera une république bananière

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