Industrie automobile : Quand les bonnes intentions politiques nous conduisent droit dans le mur

Dans un entretien avec quatre journaux européens, Carlos Tavarès, Directeur Général de Stellantis, nouveau nom de Peugeot/Fiat/Chrysler, avertit les responsables de notre Continent sur les risques sociaux engendrés par les décisions prises pour éradiquer rapidement les derniers moteurs thermiques des véhicules en circulation : “Mais ce qui est clair est que l’électrification est la technologie choisie par les politiques, pas par l’industrie”.

Pour la plupart des scientifiques , techniciens et ingénieurs, cette prise de position nous parle car dans le domaine de l’automobile comme dans beaucoup d’autres nous observons des engouements rapides des politiques pour des changements immédiats sans que l’on ait mesuré auparavant leur pertinence à l’égard des objectifs affichés , leur faisabilité réelle ni leurs conséquences économiques et sociales. Ainsi ces dernières années les investissements dans les éoliennes, les lois anti-plastique , les positions anti-aéronautique… Cette volonté de faire des choix techniques de la part des dirigeants politiques a toujours existé mais ce qui est récent c’est le mépris affiché à l’égard des avis que peuvent donner les industriels : ils sont soupçonnés de défendre leurs prés-carrés sans soucis de défense du bien commun. Les techniciens, en retour, estiment désormais que les politiques, à la recherche de résultats électoraux, piétinent la réalité et engagent la société dans des voies dangereuses ou sans issue !

Le cas de l’automobile est intéressant à décortiquer car il permet de comprendre comment les bonnes intentions de chacun sont en train de conduire à des impasses ou des drames.
L’industrie automobile, celle du véhicule individuel, est directement attachée à un mode de vie de la civilisation occidentale qui finit par se répandre à travers le monde entier : la possibilité pour un individu de décider à tout moment d’une mobilité terrestre. L’automobile a donc structuré notre espace et l’accès à son utilisation est devenu un but pour la plupart des humains, boire, manger, avoir un toit, et une automobile…et depuis peu un téléphone portable ! C’est un des outils majeurs d’une liberté individuelle recherchée par le plus grand nombre de nos contemporains. Les constructeurs automobiles à travers le monde ont donc cherché à satisfaire une clientèle potentielle toujours en expansion avec des produits bon marché, tandis que les dirigeants politiques ont multiplié les normes et règlementations permettant de contrôler les effets négatifs du développement de leur nombre, sécurité, circulation, encombrements, pollution, entre autres. Le choc entre l’accumulation des satisfactions des désirs individuels de mobilité et les conséquences sur la vie économique et sociale a conduit à s’interroger sur la pertinence et l’avenir du modèle : les voyageurs qui ont eu la « chance » de conduire dans des mégalopoles comme Le Caire ou Shangaï conçoivent bien les limites de l’ambition de fournir à chacun un véhicule ! C’est la démographie galopante et l’utilisation de l’espace qui y correspond si l’on veut accéder aux désirs de mobilité qui sont les problèmes à traiter, les constructeurs automobiles sont là pour satisfaire la demande solvable, les Etats pour fixer des règles permettant de préserver une vie collective économique et sociale.

La difficulté pour la puissance publique d’effectuer des choix techniques judicieux a déjà été illustrée par l’incitation à transformer les raffineries françaises pour produire de l’essence sans plomb tandis qu’une autre partie de l’Etat voulait favoriser le moteur diesel …quelques années après nous étions acheteurs de gazole et vendeurs d’essence, une situation inconfortable pour notre balance commerciale. On sait donc qu’il faut de la prudence avant de modifier les règles, il faut étudier les conséquences !

Depuis les débuts de l’automobile on sait que le véhicule électrique est une solution pour les villes car non polluante et non bruyante. Elle a le défaut du poids des batteries, leur autonomie et le temps passé pour les recharger. Dans tous les cas de flottes spécialisées urbaines elles peuvent être favorisées sous réserve que le cout global le permette. Les urbanistes demandent depuis une cinquantaine d’années que l’on fasse ce choix. Ils se sont heurtés aux conditions économiques, le stockage électrique restant couteux et réduisant la flexibilité de l’usage. Les constructeurs ont néanmoins développé des modèles tout électrique et d’autres dits « Hybrides » permettant une utilisation « propre » en ville et une polluante mais « sure » en alimentation sur route. Le manque de bornes de recharge et l’habitabilité des hybrides ont freiné leur développement, autrement dit les clients n’ont pas été au rendez-vous, ils ont même plébiscité dans leurs choix des véhicules plus lourds, plus gros, (les SUV), devenus moins consommateurs et plus rassurants. Les Gouvernants disent le « Bien » et le peuple demande l’inverse ! On décide donc avec « courage » que ce sont les constructeurs qui ont tort et on leur demande de vendre des véhicules électriques sous peine de pénalités. Ils cherchent donc avec des publicités, des prix et des modèles attractifs, des subventions accordées aux acheteurs, des manipulations diverses de l’opinion pour lui dire comment elle doit diriger ses désirs …mais la déception de beaucoup d’acheteurs conduit au rétrécissement de la vente de véhicules neufs en Europe, à l’explosion des acquisitions des véhicules d’occasion.

Mais , pendant le même temps les drames industriels se précisent, fonderies et assemblages de moteurs thermiques s’effondrent sur le Continent, ce sont des dizaines de sites industriels qui sont en train de fermer, et des centaines de mille d’ouvriers qui retournent chez eux avec des primes insatisfaisantes mais couteuses pour la collectivité. « Vous ne désirez pas ce véhicule, mais c’est celui que vous aurez quand même » nous disent les politiques tandis que les ingénieurs leur disent deux choses.

La première est de déterminer si le choix est le bon. Le véhicule « tout électrique » satisfait-il les objectifs mis en lui par la société européenne ? Nous en doutons , cela mérite débat, ce débat n’a pas eu lieu. Le stockage électrique est un abus de langage , on ne stocke pas des électrons en mouvement pour les restituer, on transforme les électrons en mouvement en quelque chose qui va produire lorsqu’on le veut, de nouveau, des électrons en mouvement. Le rendement des deux opérations, des deux transformations, conduit à des pertes. Le véhicule électrique est donc structurellement une solution « chère ». C’est la raison pour laquelle les constructeurs comme Toyota ont poursuivi et poursuivent encore leur idée d’Hybride , tandis que d’autres ont continué dans l’essence et le diesel en se concentrant sur les rendements et la baisse des pollutions. Enfin d’autres sont partis sur l’hydrogène, depuis des dizaines d’années et sont loin de désespérer de promouvoir leurs résultats . Les ingénieurs ne sont donc pas persuadés que le véhicule « tout électrique » soit la bonne solution . Pour l’Europe, cela peut faire débat, pour le reste du monde , non , puisque dans la plupart des pays l’accès à l’électricité est intermittent, c’est-à-dire que la recharge est aléatoire et restreindra donc les clients potentiels. Quel calcul faire ? La pollution, le climat, la ville ou la chaine de production/disparition complète ? Les politiques doivent retourner à l’école , la voiture électrique peut être nucléaire, au gaz , au charbon , au cobalt, au nickel …selon l’origine de l’électricité, et donc ce n’est pas un calcul universel, mais régional !

La deuxième c’est qu’en supposant qu’un choix soit motivé , la manière de l’imposer est importante. Pour nous , industriels, le patron c’est le client , c’était le slogan de François
Michelin, cela reste celui de notre quotidien. La prohibition aux USA nous a bien montré son échec ou comme le dit le proverbe « on ne fait pas boire un âne qui n’a pas soif » . Carlos Tavarès parle de brutalité, on pourrait aussi parler d’irréalisme, d’enfantillage, de stupidité ! En tous les cas cette façon de faire ne marche pas même en régime dictatorial, c’est la leçon chinoise qu’il faudrait regarder et méditer ! Ce n’est pas la bonne méthode de gouvernement en démocratie, c’est inefficace, et c’est ravageur pour la société déjà très entamée par le traitement de la pandémie. La crise sociale est devant nous car la liberté a été très entravée ces derniers mois et que les coups portés à la mobilité après ceux reçus par les confinements sont trop forts.

Sur ce sujet comme sur d’autres, arrêtons de vouloir détenir une vérité unique et définitive, acceptons la complexité , acceptons les différences de situation et donc les solutions diverses et simultanées. L’humain est épris de liberté, si on la lui conteste , il ira toujours la chercher. Que les gouvernements, tout en donnant la direction qu’il faut suivre ne veuillent pas, en plus, nous imposer des choix scientifiques, techniques ou industriels sur lesquels leur incompétence est totale.

5 commentaires sur “Industrie automobile : Quand les bonnes intentions politiques nous conduisent droit dans le mur

  1. Cher Président, votre article est excellent et j’espère qu’il fera réfléchir l’Etat … et l’Europe. Ancien directeur Adjoint du centre de résultats Raffinage Pétrochimie d’IFP je suis bien placé pour vous suivre car je me bats depuis 2017 (l’annonce de HULOT sur la fin des moteurs thermiques en 2035) Il y aura toujours un raffinage du pétrole et les moteurs thermiques essence et Diesel avec post-traitements, satisfaisant aux normes Euro6, survivront à la fièvre électrique. J’ai interpellé l’Etat par courrier et par mail à plusieurs reprises « l’Etat se doit de réhabiliter le Diesel » a été publié sous InfoChimie en 07 21 (tribune de Sylvie Latieule) et je viens de récidiver ce mois  » réflexions sur le marché automobile – quel choix : thermique, hybride, tout électrique ? » PANNIER RUNACHER, LE MAIRE et POMPILI ont transmis à Thomas COURBE, DG des Entreprises. J’attends depuis 07 21 qu’il se manifeste. Que faire pour réveiller le mammouth ???

  2. Cet article explique parfaitement les choses et le dernier paragraphe est excellent.
    « Sur ce sujet comme sur d’autres, arrêtons de vouloir détenir une vérité unique et définitive, acceptons la complexité , acceptons les différences de situation et donc les solutions diverses et simultanées. »
    Redonnons la parole à nos techniciens.
    « Les ingénieurs ne sont donc pas persuadés que le véhicule « tout électrique » soit la bonne solution . Pour l’Europe, cela peut faire débat, pour le reste du monde , non , puisque dans la plupart des pays l’accès à l’électricité est intermittent »

    1. Nulle personne sencée ne peut nier la véracité des propos de Mr Tavares,!
      Ses propos devraient permettrent aux dirigeants politiques de réfléchir si tant est qu ils aient un peu de courant pour alimenter leur méninges

    2. La problématique devient simple quand on a compris qu’il n’y a pas de solution simple et universelle dans le temps et dans l’espace…..La mobilité urbaine a beaucoup à gagner en termes de pollution et nuisance avec le véhicule électrique ( batterie, puis pile à combustible). En zone rurale pollution et nuisance sont très faibles . L’hybride est un bon compromis pour l’ automobiliste qui doit circuler un peu partout. Avec son parc nucléaire ( à condition qu’il soit renouvelé) la France est bien positionnée pour jouer la mobilité électrique.
      Quant aux conséquences industrielles et sociales , le scénario ci-dessus permet l’adaptation des entreprises, à condition de leur donner un peu de temps…
      Pas de catastrophisme donc, si on réfléchit un tantinet….!

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