Plan de sobriété énergétique : couper dans les gaspillages et lisser la production pourra-t-il suffire ?

Emmanuel Macron a annoncé « un plan de sobriété » énergétique lors de son interview du 14 juillet. Il souhaite notamment inciter les administrations, les entreprises et les particuliers à se lancer dans une « chasse au gaspillage énergétique ». Clément Beaune, le ministre des Transports, a demandé aux grands opérateurs dans le secteur aérien et à la SNCF de réduire leur consommation énergétique.

Atlantico : Le président de la République a annoncé « un plan de sobriété » énergétique, jeudi 14 juillet, lors d’une interview donnée à TF1 et France 2. Il souhaite pousser les administrations, les entreprises, mais aussi les particuliers, à se lancer dans une « chasse au gaspillage énergétique ». Il souhaite aussi reconstituer les stocks français et mettre en place une loi d’urgence pour développer le renouvelable. De son côté, Clément Beaune a annoncé demander des efforts aux grands opérateurs de transports. Que propose concrètement le gouvernement ? Si l’on regarde une par une les propositions du gouvernement, est-ce suffisant dans les circonstances actuelles ?

Loïk Le Floch-Prigent : Il n’est pas interdit pour un chef d’Etat un 14 juillet de faire de la communication : « ne vous inquiétez pas, je suis là et nous avons les choses en mains «et on ne peut pas lui en vouloir de souhaiter rassurer les Français tout en leur disant qu’ils vont tous avoir à faire des efforts. Simplement il n’y a rien d’efficace derrière ces paroles car la situation actuelle remet en cause profondément toutes les décisions prises depuis une bonne vingtaine d’années sinon plus, en particulier les objectifs de la « neutralité carbone » et les solutions préconisées pour y arriver.

En effet la Commission Européenne a tout misé sur l’électrique et les énergies nouvelles (solaire et éolienne), ce qui a conduit certains pays comme l’Allemagne à investir dans les centrales à gaz pour compenser l’intermittence des ENR : les risques à court terme de pénurie comme d’augmentation des prix portent essentiellement sur l’électricité et le gaz. Pour rassurer pleinement les Européens,on pourraitleurdire que le pétrole et le charbon vont continuer à demeurer abondants et bon marché, mais ces deux vecteurs étaient jusqu’à hier voués à la disparition progressive. Nous vivons donc une contradiction entre l’urgence de donner lumière et chauffage aux populations, énergie compétitive aux industries et les perspectives souhaitées de « décarboner » nos économies et donc de proscrire les produits qui peuvent nous sauver. Lorsque le charbon, comme en Chine ou en Inde, est la seule façon de lutter contre le froid et la faim, tous les raisonnements sur la nécessité de l’ignorer disparaissent aussi pertinents soient-ils ! L’humanité a toujours choisi la survie.

Aujourd’hui les incitations, les subventions, la fiscalité sont favorables aux énergies intermittentes, à l’électricité et… par conséquent au gaz, et l’Allemagne nous montre dès aujourd’hui que ses Centrales électriques à charbon vont redémarrer, que le gaz de schiste américain est merveilleux…

Voilà la réalité , on peut dire « nous avions raison mais les évènements récents doivent nous faire modifier nos façons de faire dans les années à venir, ce qui ne nous fait pas abandonner nos exigences futures » ou dire que l’on fait un moratoire en période de guerre, mais vouloir « arranger » la politique antérieure avec un plan sur quelques années d’économies et des efforts de tous n’est pas au niveau des enjeux , lutter contre la pénurie et les couts nous faisant perdre notre industrie nous oblige à revoir notre politique dans les semaines à venir, avant l’automne et l’hiver. La faim, le froid et la chute de la production agricole et industrielle conduisent à faire appel aux deux produits qui peuvent rester compte tenu de leurs réserves et de leur mondialisation, par conséquent de la flexibilité de leur logistique, abondants et bon marché, le pétrole et le charbon !

Emmanuel Macron a anticipé un été et un début d’automne “sans doute durs, très durs”, tout en se voulant rassurant. A-t-il tenu un discours de vérité sur la situation énergétique de la France ?

La réalité c’est que la situation de la France est aujourd’hui complexe à cause d’une intégration européenne ratée avec une Allemagne anti-nucléaire subissant l’échec de sa politique éolienne et solaire alors que la France ne bénéficie pas du trésor qu’elle a construit avec ses centrales nucléaires depuis des dizaines d’années. On pourrait reprendre une politique souveraine ignorant les traités qui nous lient à nos partenaires et ainsi retrouver de l’abondance et des prix bas, mais dans ce contexte de guerre c’est difficile, il faudrait mieux négocier, à l’arraché, une révision de la politique de l’électricité avec nos partenaires européens pour les faire converger vers une utilisation du nucléaire, et donc arrêter d’urgence les investissements onéreux à l’efficacité plus que discutable, on peut penser par exemple aux usines éoliennes en mer ancrées très près du littoral comme en face d’Erquy et du Cap Fréhel en Bretagne.

La situation énergétique de la France a été fragilisée depuis 20 ans par l’offensive anti-nucléaire de l’écologie politique et de la Commission Européenne, elle est la plus solide de l’Union Européenne néanmoins avec en plus de ses centrales nucléaires des stockages de gaz naturel et des terminaux de regazéification de Gaz Naturel liquéfié, mais sa solidarité avec ses partenaires européens est un handicap dans les prochains mois. La France devrait donc exiger de ses voisins une politique plus conforme aux nécessités de l’heure, en particulier un maintien du fonctionnement des centrales nucléaires existantes, et une révision du marché artificiel de l’électricité imposé depuis 2005 à notre pays avec le dispositif ARENH qui pénalise EDF et donc notre pays.

Qu’est-ce qui constitue aujourd’hui la masse des dépenses d’électricité et d’énergie en France ? Peut-on agir véritablement sur ces secteurs ?

C’est là que devrait résider aujourd’hui la communication à destination de la population française. Nous sommes dépendants du pétrole et du gaz et les énergies renouvelables ne représentent qu’une infime partie de notre consommation électrique. Nous avons besoin du pétrole et du gaz pour nos besoins individuels mais également collectifs avec les transports, les engrais et autres intrants agricoles et surtout notre appareil industriel. Vouloir favoriser l’électricité comme vecteur final énergétique satisfait le consommateur final du point de vue pollution, mais tout dépend de l’origine de l’électricité. Ainsi la voiture électrique française est « nucléaire », celle de Chine est « charbon », celle d’Allemagne est « Gaz « ! Le vecteur final ne change pas le chiffre des besoins qui est très élevé compte tenu de notre mode de vie. Nous nous sommes habitués à une électricité abondante et bon marché, et si, aujourd’hui, les citoyens bénéficient d’un bouclier du Gouvernement, les industriels paient leur électricité3 fois le prix des années précédentes et les grands consommateurs sont au bord de la rupture, d’autant que le gaz, sans bouclier non plus a vu son prix multiplié par 4 ! On peut lancer des plans sur deux ou cinq ans pour que les particuliers fassent des économies, mais c’est l’urgence de la compétitivité industrielle qu’il faut traiter et il est très tard pour se réveiller. Promouvoir la voiture électrique est d’un cout excessif pour la collectivité, mais c’est aussi contre-productif puisque nous risquons la pénurie électrique, changer les chaudières à fioul par des pompes à chaleur est intelligent à long terme, mais aujourd’hui c’est remplacer une énergie sans risque de pénurie par une consommation électrique, le gaz naturel est le vecteur de la production d’engrais azotés, il nous faut le garder pour maintenir nos rendements agricoles… notre écosystème doit se maintenir pendant les deux années qui viennent et la masse des dépenses doit se concentrer sur cet objectif. Cette révision de la politique suivie jusqu’ici peut être considérée comme déchirante et va faire hurler l’écologie politique, mais c’est cela ou la faim, le froid, et la chute de notre appareil productif agricole et industriel. Faire baisser de 10% la consommation des ménages est un leurre dans l’immédiat, il n’y a qu’à voir la précipitation du public avec la canicule annoncée vers les climatiseurs et autres ventilateurs… électriques. Si la pénurie électrique arrive on risque de voir arriver l’achat compulsif de petits générateurs individuels électriques à partir d’essence ou de gazole. La dépense énergétique est d’abord professionnelle, et les restrictions individuelles ont un intérêt certain de sensibilisation mais elles ne conduisent pas à la solution, d’ailleurs on évoque pour ne pas plonger la France dans le noir un »effacement » des industriels c’est-à-dire l’acceptation par ceux-ci d’arrêter leurs usines ce qui pénalise le contribuable deux fois, il doit indemniser les entreprises et les importations doivent augmenter déréglant encore plus la balance commerciale. Cela peut être une nécessité » pour éviter les morts d’un pays enhiver « dans le noir », mais c’est une politique de gribouille, un pis-aller.

Quelles autres solutions que celles proposées par le président de la République est-il possible d’envisager dans la situation actuelle ?

Encore une fois la réponse ne va pas plaire ; mais puisque notre contrainte essentielleen pénurie potentielle et en cout est l’énergie électrique, il faut s’interroger en premier lieu sur les raisons de l’affaiblissement de notre potentiel de production à partir de nos centrales nucléaires. On sait que l’Autorité de Sureté Nucléaire (ASN) ayant constaté quelques anomalies sur certaines unités, a décidé d’en arrêter une bonne dizaine mettant notre pays en difficultés. J’ai indiqué que je pensais que ces anomalies, pour la plupart, étaient connues et qu’elles avaient déclenché cette année une peur irraisonnée et des mesures trop brutales. Je peux avoir tort, et beaucoup de mes anciens collaborateurs avec moi. Mais devant l’urgence de survie de notre pays un second examen avec des experts du nucléaire choisis à travers le monde mérite d’être décidé. Il n’y a pas d’industrie sans risques, il n’y a pas de production nucléaire sans risques, mais certains problèmes soulevés comme la fameuse corrosion qui remplit les gazettes me semblent plus gérables que ce qui est dit. Il y a quelques semaines on considérait dans la presse que les anomalies constatées sur les EPR chinois étaient un désastre, on ne dit rien aujourd’hui des résultats car l’affaire a été traitée et la conception de l’EPR n’y était pour rien. Avant de considérer que des problèmes graves doivent attendre deux ans pour être traités dans une dizaine de centrales françaises, ayons l’humilité de faire un second examen pour permettre, peut-être, de passer les deux prochaines années sans trop de périls dans notre pays. A cet égard les réacteurs de Fessenheim sont vaillants et peuvent redémarrer, on peut étudier un programme de remise en ordre d’une centrale qui a été arrêtée sans aucune justification technique ni de sécurité. Par ailleurs, s’il faut du gaz, nous avons du gaz de schiste en France, il serait aussi bon que celui des Américains que nous sommes en train de consommer dès aujourd’hui.

Si nous ne sommes pas en mesure de satisfaire nos besoins électriques cet hiver, c’est-à-dire si j’ai tort dans ma façon de voir un redémarrage de centrales nucléaires arrêtées, au moins, en attendant stoppons le massacre de la dépendance en faisant un moratoire sur l’éolien et le solaire, le véhicule électrique en permettant de nouveau de faire tourner le pays avec du pétrole qui sera toujours moins polluant et plus abondant que le charbon qui va fleurir chez tous nos voisins européens.

Nous n’avions prévu ni le Covid ni la guerre en Ukraine, nous avons suivi la Commission Européenne dans une politique dont nous connaissions l’inefficacité mais que semblait accepter la population (et les médias), nous savons aujourd’hui qu’elle nous mène droit dans le mur, est-ce vraiment raisonnable de poursuivre dans le déni de réalité, ne devons-nous pas regarder en face les nécessité de l’heure, protéger vraiment la vie des Français et des Européens ?

4 commentaires sur “Plan de sobriété énergétique : couper dans les gaspillages et lisser la production pourra-t-il suffire ?

  1. Article très remarquable. Que sont devenu nos élites, X Mines ou autres, pourvoyeurs des grands corps de l’Etat, lesquels semblent soudainement ignorer les urgences de la nation et même, laissent Députés et Sénateurs des tous poils raconter n’importe quoi sur le COVID, sur les motorisations thermiques EURO 7, sur la fracturation des gisements, sur le Nucléaire ; ce qui conduit l’Etat à méconnaitre le développement Scientifique Technique et Industriel de la Nation et à décider de tout dans le cadre Européen. Ne faudrait il pas qu’il sache, enfin « savoir raison garder » !

  2. Il est vraiment étonnant que la géothermie de « Grande profondeur sous conduite forcée » ne fasse l’objet d’aucune ouverture dans les médias, aucune expérimentation,…rien, alors que nous flottons sur une énergie infinie, juste ici sous nos pieds à 4 ou 5.000 mètres…Le journal Le Soir de Bruxelles m’achète un article publié dans les pages saumon….aucune réaction…rien. Suis-je aussi un reporter mouton noir ?

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