[Trois questions à] Loïk Le Floch-Prigent : « On touche au sacré »

Loïk le Floch-Prigent, industriel et écrivain, estime que vouloir installer un champ éolien en baie de Saint-Brieuc c’est s’attaquer au sacré… L’horizon et les coraux, patrimoine de l’humanité.

 

Pourquoi vous opposez-vous aux éoliennes ?

D’une manière générale, j’aurais envie qu’il n’y ait pas d’éoliennes en mer et, surtout pas, de fermes éoliennes ; c’est-à-dire des endroits où il y en aura, non pas six mais 30, 60… Je suis contre le principe dans la mesure où, d’un point de vue énergétique, ce n’est pas la solution car c’est intermittent. Une éolienne, dans nos régions, ne fonctionne qu’à 25 % de sa puissance nominale. En revanche, je ne suis pas contre l’installation d’éoliennes dans les îles, les endroits reculés ou des pays comme le Danemark ou l’Écosse. Mais vouloir installer un important parc éolien au large du cap Fréhel et du cap d’Erquy, non pas en flottant à 30 ou 50 km, mais ancré, à 16 km, c’est une erreur dramatique.

Vous affirmez que ce dossier est entaché d’irrégularités. De quel ordre ?

Elles sont nombreuses. Il n’est que de lire les pages des rapports des associations de pêcheurs et de défense de l’environnement, qui multiplient les recours, pour s’en convaincre. Même le Conseil d’État a constaté, en juillet 2019, l’irrégularité de la procédure de sélection qui a permis à Iberdrola, SAS espagnole de 3 000 euros de capital, arrivée seconde lors de l’appel d’offres, d’obtenir un marché de plus de sept milliards d’euros (*). Et les 100 millions d’euros déjà dépensés par le promoteur sont-ils vraiment justifiés ? Beaucoup en doutent. C’est amplement suffisant pour qu’une instance indépendante clarifie une opacité dénoncée par la plupart des candidats aux mairies des cantons avoisinants. Au nom de quoi aller ériger dans le plus grand réservoir à coquilles Saint-Jacques européen, 62 tours Eiffel de 210 mètres de haut pour obtenir une électricité quatre fois plus chère qu’ailleurs, à la charge (cinq milliards d’euros) du contribuable pendant 25 ans. Double peine car ce dernier paye et on fait disparaître l’horizon et les coraux, qui sont sacrés.

Pourquoi en référer au sacré ?

Pour nous, Bretons de la côte nord, toucher aux caps Fréhel et d’Erquy, c’est l’analogue du cap Sizun des Bretons « sudistes ». C’est toucher au sacré… Sacré, cet horizon que viennent admirer, chaque année, un million de visiteurs au cap Fréhel. Sacrés, aussi, les plus beaux coraux de la Manche, par 40 mètres de fond. La priorité est de demander aux experts de l’Ifremer et à ceux du Museum d’histoire naturelle de Dinard d’aller les étudier et qu’ils figurent dans des études d’impact qui n’ont pas pris en compte l’essentiel. On pleure sur les coraux quand ils sont menacés à Tahiti et ils n’existeraient pas quand ils sont en Bretagne ? À côté de ces merveilles intouchables et sacrées, ce champ éolien n’est en rien indispensable, pas plus pour les riverains que pour les Bretons, ni pour l’humanité. On peut s’étonner que ce projet, le moins abouti de l’histoire de l’éolien, ait franchi toutes les barrières depuis huit ans, ça rien ne tient. C’est le nouveau « Plogoff ». Il est des fois dans la vie où il est temps de reculer.

 

(c) Le Télégramme – 15 juillet 2020

(*) NDLR : Dans cet arrêt, le Conseil d’État a alloué un dédommagement de 2,5 millions d’euros à la société morbihannaise Nass Wind Smart Services évincée du marché du parc éolien marin de Saint-Brieuc. L’autorisation d’exploitation du parc par Ailes Marines, filiale d’Iberdrola, n’avait cependant pas été remise en cause.

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.