Vision et illusions : la politique énergétique franco-allemande

La politique c’est d’abord une vision de l’avenir que l’on essaie de partager avec le plus grand nombre. Il faut, certes, gérer le présent mais surtout préparer le futur, et donc anticiper et décider. On peut aussi se bercer d’illusions, ne pas regarder les réalités et se faire rattraper un jour par l’évidence d’une politique mal conçue, inefficace et quelquefois catastrophique. La frontière entre la vision et les illusions est souvent fragile, mais les hommes d’Etat véritables sont ceux qui refusent l’enfermement ouaté que leur proposent leurs proches en se confrontant de façon permanente à la vie réelle, celle des peuples dont ils ont obtenu la responsabilité.

La vision franco-allemande De Gaulle/Adenauer puis Mitterrand/Kohl était celle de l’exigence de la fin des conflits entre les deux peuples, 1870, 1914, 1939 avec le carnage et la paupérisation, il fallait en terminer autour d’un texte, le Traité de l’Elysée (1963). C’est le point de départ de ce que l’on a appelé selon les époques la coopération bilatérale ou l’amitié franco-allemande et même dans la presse française le « couple franco-allemand ». Ainsi les deux européens les plus puissants se réunissaient-ils pour bâtir une Europe de l’Ouest qui va ensuite s’élargir à l’Est après la chute du mur de Berlin (9 novembre 1989) !

La France possède l’arme nucléaire et une défense autonome, elle est aussi leader dans le civil nucléaire avec 58 réacteurs en fonctionnement, fournissant 75 % de son électricité avec possibilité d’exportation et de coopération avec les pays voisins. La France a aussi deux majors pétroliers, ELF et Total qui n’en feront bientôt plus qu’un après leur fusion. L’Allemagne exprime rapidement qu’elle estime que sa politique de défense est essentiellement celle de la protection des USA et va d’ailleurs acheter ou licencier du matériel américain, reste la politique énergétique sur laquelle la proximité géographique peut susciter des espoirs : vision ou illusions ? En tous les cas en ce qui concerne l’énergie électrique la logique pousse à des interconnexions tandis que pour les énergies fossiles les oléoducs et gazoducs peuvent conduire à un service renforcé d’un Continent pauvre en gisements.

Lors du sommet des Chefs d’Etat du 13 et 14 juin 1991 réunis à Prague sous la houlette du Président Vaclav Havel et du Président François Mitterrand, la question de la politique énergétique du Continent est vivement débattue… en présence d’une délégation américaine sans enthousiasme pour cette orientation. Le programme nucléaire civil semble néanmoins pour les deux responsables français et allemands intéressant à approfondir et va finir par déboucher sur le fameux EPR dont on parle encore aujourd’hui. Il s’agit de substituer à la nouvelle version de réacteur préparée par les Français (REP 2000 ou N 4+) un réacteur franco-allemand, plus sûr et plus gros (1650 MW) en faisant coopérer Framatome d’un coté et Siemens de l’autre. La dernière centrale française va être inaugurée en 2002 et il s’agit donc de lancer un nouveau programme de construction sous le signe d’une intégration franco-allemande, réacteur pour la France et contrôle-commandes pour les Allemands. Comme nous le savons aujourd’hui ce programme va être une catastrophe avec des surcoûts et des retards, mais ce programme a été décidé contre les ingénieurs du secteur par des politiques visionnaires… qui se sont faits des illusions. La coopération décidée dans les chancelleries n’a jamais été acceptée et la distance prise à l’égard du nucléaire par le nouveau Chancelier allemand, Gerhard Schröder, dès sa prise de fonction (1998), ne va pas arranger les choses. Il faut dire que l’accident de la Centrale ukrainienne de Tchernobyl en 1996 a renforcé les mouvements anti-nucléaires et les « Verts » allemands ont pris une plus grande importance politique ce qui va conduire à des coalitions gouvernementales les incluant et décidant donc dès l’an 2000 à envisager la « sortie du nucléaire » progressive en Allemagne.

La séparation technique Framatome/Siemens va être également progressive provoquant des difficultés additionnelles pour la construction du premier EPR à Flamanville surtout après l’annonce de la précipitation du retrait du nucléaire de la Chancelière Merkel en 2011 après le tsunami ayant affecté la Centrale de Fukushima.

Devant l’échec d’une meilleure intégration européenne les historiens pointeront sans doute l’élargissement trop rapide aux Européens de l’Est, et bien d’autres sujets qui rempliront les livres, mais la divergence profonde dans les politiques de l’énergie entre la France et l’Allemagne ne devra pas être ignorée.

En effet la France avec son major pétrolier-gazier et son électronucléaire va essayer d’utiliser au mieux ses avantages indiscutables, avec une unité de commandement, Total, Edf, Engie. Total se diversifie régionalement en augmentant ses réserves et sa production, devenant un des leaders en GNL (gaz naturel liquéfié). Même si la règlementation européenne l’oblige à fermer certaines de ses raffineries, il en installe ailleurs et peut subvenir aux besoins nationaux en conservant ses dépôts et ses stations sans y trouver une rentabilité au contraire de  ses activités de production, elles très profitables, toutes en dehors de la France. Edf malgré l’agitation des antinucléaires continue à produire mais les compétences nucléaires ne sont plus utilisées en France sur de nouveaux projets et les 100 000 personnes des entreprises sous-traitantes peuvent conserver leurs talents grâce à la construction des deux EPR chinois. Gaz de France est absorbé par Suez, et devient Engie, conservant ses compétences sur l’achat de gaz, son transport et sa distribution. La poussée des écologistes politiques conduit les gouvernements successifs à envisager la construction d’éoliennes et l’utilisation de panneaux solaires, tandis que l’hydraulique est considérée comme passéiste et hostile à la biodiversité. La doctrine souverainiste des années du programme nucléaire est oubliée, les panneaux solaires venant de Chine et aucun acteur de poids n’existant sur les éoliennes. L’élection de 2012 débouche sur un programme de baisse tendancielle du poids du nucléaire dans le mix national tandis qu’est annoncée avec le Programme Pluriannuel de l’énergie la fermeture de quatorze réacteurs.

L’Allemagne prend résolument une voie radicale, une multiplication des éoliennes et des panneaux solaires, une fermeture accélérée des centrales nucléaires, mais surtout une dépendance accrue au fournisseur russe, que ce soit pour le charbon, le gaz ou le pétrole. L’ex Chancelier Schröder devient le promoteur du gazoduc allant directement sous la mer Baltique, soutenu par Madame Merkel, tandis que le pétrole vient par oléoduc des champs de l’Est et que le charbon russe nourrit jusqu’à 50 % les centrales  allemandes. La propagande écologiste continue à affirmer que les éoliennes peuvent subvenir aux besoins des consommateurs, on compte les « foyers » servis à chaque installation, en oubliant soigneusement qu’elles ne fonctionnent que 25 % du temps et que les clients ont besoin du gaz et du charbon pour conserver une continuité de leur consommation, le réseau électrique « propre » ou « vert » de l’Allemagne célébré par toute l’écologie politique repose sur un mensonge ou un oubli, la nécessité de doubler les installations intermittentes par des installations pilotables. Surtout l’arrivée dans la politique énergétique des responsables du climat qui exigent une décarbonation des pays conduit les responsables politiques allemands à taire cette exigence puisque ce sont les centrales nucléaires qu’ils veulent fermer. En vantant les mérites de leur politique « verte » ils arrivent même à convaincre la Commission européenne autour d’un « Green Deal », c’est-à-dire un programme d’énergies solaires, éoliennes et gazières « propres » à l’exclusion du nucléaire « salie » par les déchets alors que le critère est le carbone où le nucléaire est le moins disant ! Un exploit à méditer pour tous nos diplomates de Bruxelles.

L’Europe de l’énergie n’existe donc pas : l’écart, malgré les efforts des écologistes politiques de peupler la France d’éoliennes et de panneaux solaires, reste énorme entre la France et l’Allemagne, et la politique allemande qui a ses laudateurs en France a déséquilibré fortement le Continent qui a vu le prix de l’électricité augmenter partout, tandis que la Commission européenne, sous influence allemande et verte demande aux constructeurs automobiles d’arrêter la production de véhicules thermiques, aux consommateurs de supprimer leurs chauffages au fioul et l’installation prioritaire de pompes à chaleur (utilisant l’énergie électrique). Le Gaz de schiste américain devenant prolifique commence à exiger une place sous forme liquéfiée (GNL) sur le marché mondial, le circuit court Russie-Allemagne est peu apprécié par les USA qui essaient de retarder North Stream 1 et surtout North Stream 2, et le fonctionnement de ce dernier ne peut commencer qu’avec une montée des prix du gaz depuis deux ans et demi pour laisser une place au gaz américain qui commence à être livré en Europe malgré son prix encore élevé.

On le voit il y a donc deux politiques en Europe, malgré tous les efforts du Gouvernement français à satisfaire les écologistes politiques en restreignant les recours des écologistes non politiques contre les éoliennes, la française qui mise toujours par nécessité historique sur le nucléaire et l’allemande, soutenue par la Commission européenne, qui veut la fin du nucléaire et la poursuite du mensonge qui cache le gaz derrière le « temps court «  qui le rend encore nécessaire et surtout l’ouverture de nouvelles centrales à charbon qui, elles, en plus de leur carbonation sont polluantes pour l’intégralité du Continent, dont la France, par vent d’Est. La résultante est néanmoins un affaiblissement de la France qui est tout juste souveraine pour son électricité, qui voit disparaitre son industrie automobile et qui est montrée du doigt pour sa confiance en sa major pétrolière (qui doit changer de nom en Total Energies).

L’Allemagne appuyée sur les bas coûts du charbon a maintenu une industrie plus florissante, des exportations brillantes et a maintenu un prix de l’énergie acceptable se déréglant lentement avec l’augmentation « cachée » du prix payé pour le gaz russe ! Les excédants du commerce extérieur allemand vont lui permettre sans augmenter sa dette de donner aux industriels allemands une énergie à un prix encore contenu. La France, elle, s’est tirée une balle dans le pied en voulant imiter les Allemands (ou obéir à la Commission européenne, on choisit) et surinvestir dans les énergies éoliennes et solaires tout en réduisant (fermeture de Fessenheim) ou négligeant la maintenance des centrales nucléaires et hydrauliques. Elle a un commerce extérieur fortement déficitaire, une dette (quoi qu’il en coûte) devenue énorme et un prix de son énergie soumis à la règle de la Commission (ou de l’Allemagne, on choisit).

Au contraire de ce qui est préconisé par la majorité du personnel politique, il faut donc acter qu’il y a deux politiques en Europe, incompatibles et contradictoires, l’une admettant l’existence de centrales nucléaires, l’autre l’excluant. Ceci conduit à ce que chaque politique trouve ses solutions pour que les prix correspondent aux coûts avec une marge compréhensible par les consommateurs et admise par eux. La formation des coûts étant sans équivalent entre les deux systèmes, il est donc nécessaire qu’ils soient indépendants. C’est l’Allemagne qui a décidé de l’abandon de sa souveraineté au profit de la Russie en ce qui concerne l’énergie (tout en essayant de ne pas déplaire aux Américains, d’où l’histoire du gaz), c’est l’Allemagne qui a décidé d’abandonner le nucléaire, c’est l’Allemagne qui a poursuivi la politique charbonnière sans investir dans les hautes températures qui diminuent les pollutions et dans la captation carbone, ce n’est pas à la France de payer pour ces erreurs.  La France a assez à faire  avec les siennes, dont, entre autres, l’acceptation d’une désindustrialisation progressive et sa lâcheté  devant les minorités de l’écologie politique.

1 commentaire sur “Vision et illusions : la politique énergétique franco-allemande

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