Dissolution de Genepi : quand les militants pour les droits des prisonniers en viennent à nuire à la cause qu’ils entendent (à juste titre) défendre

Génépi est créée en 1976, l’association d’étudiants se propose de partager les savoirs avec les prisonniers en intervenant dans les établissements pénitentiaires avec des ateliers et des cours. Après les émeutes en prison de 1974 et le livre phare de l’époque « surveiller et punir « de Michel Foucault (1975), c’est la deuxième fois qu’une atmosphère nationale est favorable à un changement radical des conditions de vie des personnes incarcérées. On avait, en effet, déjà connu cette prise de conscience à la Libération en 1945 car un grand nombre de Résistants devenus des hommes de pouvoir avaient connu pendant l’occupation l’incarcération, en particulier à Fresnes.

La philosophie derrière les initiatives nombreuses dont celle de Génépi est claire : une grande partie des individus punis pour crimes ou délits ont de grandes difficultés à s’insérer dans la société, l’enfermement et la mise à l’écart de la vie sociale ne peuvent  qu’aggraver leur situation et compromettre leur ré- insertion. La présence de bénévoles à l’intérieur des établissements pénitentiaires voulant simplement leur prodiguer des enseignements est la création d’un lien avec l’extérieur qui peut leur redonner confiance dans l’avenir et prévenir ainsi les récidives. Dans toutes les études on remarque d’ailleurs que c’est le maintien des liens familiaux ou amicaux et les rencontres avec les visiteurs divers qui vont permettre un retour à une vie sociale. Le titre des publications du Génépi, le Passe -Murailles en est une illustration, comme celui de la revue de l’Observatoire International des Prisons (OIP) « dedans, dehors «. Vouloir insérer (car réinsérer voudrait dire qu’ils l’ont été un jour !) une majorité d’individus asociaux en les privant de tout contact avec la société est un exercice de funambule voué à l’échec …c’est ce que nous faisions avant 1975, c’est ici que la correction Génépi (et bien d’autres initiatives) est apparue.

Pour ceux qui ont vécu en prison, il est clair que ces présences ont eu de l’importance, certains caractères étaient mieux adaptés que d’autres à ce travail, mais dans l’ensemble je n’ai entendu de réticences que de la part de certains surveillants considérant que toute présence extérieure à certaines heures était un handicap pour la bonne gestion des mouvements à l’intérieur des lieux de détention. Il faut dire que c’est un vrai casse-tête, surtout dans les maisons d’arrêt à cause du mélange trop important des délinquants majeurs et dangereux avec des responsables de délits mineurs. Le Génépi était une ouverture sur un monde souvent peu connu des occupants des lieux, aussi bien les permanents, les personnels, que les détenus. Pendant quarante ans des jeunes se sont dévoués à l’apprentissage scolaire ou professionnel d’une majorité de laissés pour compte, et les succès ont été tangibles, de part et d’autre. Certains noms connus sont passés par Génépi et ont appris sur la misère humaine plus que dans les livres, les autres ont vu poindre la possibilité d’une nouvelle vie avec la rencontre de jeunes idéalistes généreux.

Beaucoup de bénévoles ou d’anciens prisonniers ont vu ou connu tellement de souffrances inutiles qu’ils sont devenus abolitionnistes, c’est-à-dire qu’ils souhaiteraient la suppression de cette institution qui habite nos démocraties, pas les camps de torture, les goulags comme parfois ailleurs. Il est certain que rencontrer des petits drogués, de jeunes primo-délinquants devenir enragés en quelques mois et les retrouver plus tard auteurs de délits plus graves encore est déprimant. On voudrait changer les choses et ne pas poursuivre dans une direction qui démontre tous les jours qu’elle mène à l’échec ! Ce constat n’a pas échappé aux jeunes volontaires qui ont modifié les statuts considérant que des pratiques plus strictes applaudies par les tenants d’un durcissement de l’incarcération allaient rendre la vie carcérale impossible. La société médiatique est prompte à s’enflammer devant une récidive cruelle et à demander un renforcement  des règles qui s’étaient assouplies au cours du temps …et de l’échec du système dit BHV -à savoir Brimades , Humiliations, Vexations. Mais ceux qui parlent de l’incarcération ne l’ont pas vécu, pas plus comme personnel de l’administration pénitentiaire que comme détenus, ils regardent les films et les séries souvent américaines et croient savoir, comme beaucoup de magistrats qui n’ont jamais mis le nez dans une cellule mais qui décident de tout !

Le Génépi est donc passé de la générosité au combat politique et idéologique, aidé par une administration pénitentiaire qui a exacerbé les réactions militantes conduisant à la demande de suppression de la prison. Le non renouvellement de la convention entre l’Etat et le Génépi qui privait l’association d’une rentrée d’argent et de la reconnaissance institutionnelle a précipité les choses, chacun des interlocuteurs, comme c’est l’habitude, se renvoyant la balle en ce qui concerne la responsabilité de l’échec. Ceci a eu lieu récemment, en 2018, et les amis de Génépi, anciens membres ou détenus ont été horrifiés de l’orientation donnée par les nouveaux responsables qui semblaient ne pas avoir compris quel avait été l’apport de l’association depuis toutes ces années. Se déclarer » féministe et anti carcérale », vouloir se couper de » l’institution-répression » et ainsi abandonner la présence dans les murs en menant le combat uniquement à l’extérieur était une gaminerie idéologique qui ne pouvait résister ni à l’analyse ni à la réalité. Il n’a pas fallu longtemps pour que les responsables quittent le navire en dénonçant les institutions « racialistes, classistes et patriarcales » et annoncent la dissolution d’un organe qui a été plus qu’utile pendant toutes ces années.

Nous regrettons tous les coups de menton qui demandent périodiquement plus de répression, plus corrections, plus de rigueur, mais nous savons aussi que les personnels de l’administration pénitentiaire dans leur grande majorité savent que les visiteurs, en particulier les jeunes, ont une influence très positive sur le moral des détenus et que  leur présence est bénéfique pour les uns et les autres, n’en déplaise aux amateurs de feuilletons carcéraux.

J’ai trop d’amitié pour ceux qui ont souffert dans ces lieux comme moi, personnel comme détenus pour ne pas rappeler qu’il est temps d’arrêter d’écouter les prises de position radicales, ceux qui veulent incarcérer tout le monde comme ceux qui souhaitent la fin de la punition carcérale. J’ai tenté dans un ouvrage récent « Repenser la prison » de donner des éclairages sur les pratiques tentées dans certaines démocraties pour responsabiliser ceux qui décident les peines -les juges- sur les conditions de l’incarcération, et donc de la préparation de la sortie, car celui qui rentre en prison en sort un jour et le problème de la justice ne doit pas être de savoir s’il a bien exécuté sa « peine » mais de s’assurer que son séjour permet de le remettre dans la société. C’est un changement fondamental de perspective, et c’est le seul possible, ce n’est pas en augmentant les places de prison que l’on évitera les récidives c’est en regardant honnêtement la vie carcérale actuelle et en effectuant les réformes nécessaires qui impliquent forcément celui qui a prononcé la peine. Les gens dangereux ont toujours été mis à l’écart dans les sociétés, il convient à nos démocraties de savoir comment et pourquoi on les fait revenir. On parle souvent de « retard » de la France dans certains secteurs d’activité et c’est le plus souvent stupide, mais dans ce domaine il est clair que nous sommes souvent encore au siècle dernier, mais j’aurais préféré que le Génépi accompagne une nouvelle fois  ce combat contre l’obscurantisme.

1 commentaire sur “Dissolution de Genepi : quand les militants pour les droits des prisonniers en viennent à nuire à la cause qu’ils entendent (à juste titre) défendre

  1. Merci pour ce texte …
    Ouvrier d’usine alors à cette époque, puis enseignant technique pour jeunes moins favorisés (quelques temps) avions « perçu » quelques unes de ces idées… aussi par quelques lectures inspirées d’humanité.
    Récemment visionné, Laurent Muchielli, domaine de recherche depuis 25 ans, la sécurité, donne à comprendre que la « délinquance » est deux fois moindre qu’il y a 20 ans… Elle l’était plus encore en remontant dans le temps, même lointain….
    Et comme ce texte nous le suggère, nombre de causes, dont la misère, font source de ces délits… Ceci à toute époque…
    Laurent Muchielli est directeur de recherche au CNRS… il a dirigé quelques thèses et travaux autour de ces questions.
    Amicalement

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